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Gérald Atlan

Introduction

Les différents textes originaux des 12ème et 13ème siècles de Tristan & Iseut et, pour ne s’en tenir qu’à eux, racontent une histoire d’amour que l’on pourrait qualifier d’adultère et un foisonnement de péripéties dont certaines tiennent de la magie.
Pour l’écriture du livret j’ai évidemment simplifié la narration et me suis surtout attaché au caractère des différents personnages et à leurs motivations.
Tristan, qui donne son titre à l’opéra est le personnage autour duquel tourne l’action.
Avec Iseut, le roi Marc et Iseut aux blanches mains ils forment trois couples tragiques.
D’abord le couple Tristan-Iseut dont le destin est celui de la trame des films noirs. Iseut est destinée à épouser le roi Marc mais elle aime Tristan. Elle entraîne Tristan à boire, à son insu, le philtre qui les liera à jamais. Ici le philtre remplace le crime. Après l’avoir bu les amants sont tragiquement liés. Le destin, dont ils ne sont plus maîtres, les conduit inéluctablement à la mort.
Puis le couple Tristan-roi Marc. Oncle et neveu liés par une forte relation filiale. Marc, qui n’a pas de descendance et qui n’en souhaite pas, aime profondément Tristan le fils de sa sœur morte du chagrin d’avoir perdu son époux à la guerre. Tristan répugne à trahir ce père de substitution.
Et enfin le couple Tristan-Iseut aux blanches mains, que Tristan épouse par dépit croyant être oublié de son Iseut ; épouse bafouée, jalouse elle précipitera la mort de Tristan par un mensonge tragique.
Tristan, dénominateur commun de ces trois couples, est la victime de circonstances qu’il n’a pas provoquées. Tristan, titre éponyme de cet opéra-récit, souffre et fait involontairement souffrir. Comme tout amant maudit dans le cadre d’une société policée où les mœurs sont codifiées, il n’a à offrir à Iseut qu’une alternative, l’errance ou le repos dans un refuge mythique où ils seront enfin libres de s’aimer, un château de cristal, entre nuées et terre, château dont la transparence est à l’opposé de la dissimulation et qui, sans doute, est situé au-delà de la mort qui les réunira enfin apaisés.
Iseut se refuse à épouser un roi qui lui est imposé. Contrairement aux textes originaux, elle impose le philtre à Tristan. En féministe avant l’heure elle transgresse l’ordre établi, bouleverse les codes en vigueur qui assignent à la femme un rôle dont elle ne doit pas s’écarter.
Iseut aux blanches mains, victime innocente saura trouver les accents de la fureur.
Le roi Marc époux d’une femme jeune se refuse à croire la trahison que lui rapporte la rumeur. La blessure est d’autant plus profonde qu’elle est provoquée par Tristan, ce neveu qu’il aime tant.

Tristan est un opéra-récit en trois actes d’une durée de deux heures environ comportant chacun une suite de scènes intitulées lais en référence aux courts poèmes du Moyen-âge. Chaque lai est un long récitatif ne comprenant pas d’aria.
Un récitant intervient entre deux lais, pour annoncer le lai suivant, le lieu, les personnages. Son rôle est également de dramatiser l’action qui va suivre.
Le récitant est un soliste important, un acteur à la personnalité forte. Il a la responsabilité de susciter l’imagination du spectateur, de le transporter sur les lieux de l’action.
L’opéra est un genre codifié ne représentant pas la réalité mais la suggérant.
Les lieux et l’action sont hors du temps et de l’espace. Je ne fais aucune référence historique qui daterait l’œuvre. D’autre part j’ai volontairement adopté une langue littéraire. Le texte est parsemé de formules archaïsantes telles que,

beau sire, bel amant...,
ou,  je suis coutumier de combats plus que de banquets

Ces formules guère employées de nos jours créent un espace entre la scène et le spectateur. Elle jouent le rôle de la rampe. Les personnages sont alors dans un monde mentalement mis à distance.
Les changements de lieux étant fréquents, la mise en scène suggèrera plus qu’elle ne démontrera. Le spectateur est invité à créer mentalement l’univers dans lequel il est plongé.
Pour la musique, comme pour mes compositions antérieures, j’adopte des échelles atonales, en particulier le mode de Si et ses transpositions à la quinte. J’utilise également des échelles que je crée en modifiant les intervalles entre les degrés à l’intérieur d’une gamme. N’ayant plus les cadences de l’échelle tonale, je compose dans un mode donné en essayant de retrouver les respirations de la ponctuation. Cela m’amène parfois à moduler à chaque mesure, sans préparation ni résolution. La musique ainsi composée s’imprime dans l’auditeur, il peut la chanter intérieurement mais difficilement vocalement.
Chaque lai possède sa propre identité musicale. Inhérent au principe d’écriture musicale que j’ai adopté, les personnages ne sont pas caractérisés par un motif que l’on retrouverait tout au long de l’œuvre.


Le roman de Tristan & Iseut de Joseph Bédier a été longtemps mon livre de chevet. Je désirais écrire et faire connaître au plus grand nombre cette légende moderne.

Lorsqu’enfin je me décidais, mon ambition était de susciter l’intérêt pour cette histoire tragique en simplifiant la narration, en modernisant les personnages dont les comportements se rapprochent alors de ceux de notre époque. Iseut la blonde comme Iseut aux blanches mains sont des femmes modernes qui refusent la place indiquée par les hommes. A bien des égards elles rappellent les héroïnes des films noirs des grandes années du cinéma hollywoodien. Femmes fatales elles entraînent le couple maudit à sa perte. Les hommes suivent aveuglément, pris dans la tourmente d’une situation tragique. Ainsi, l’une impose à un Tristan hésitant le philtre qui l’obligera à l’aimer, à prendre ses responsabilités dirions-nous aujourd’hui, tandis que l’autre le renvoie à Iseut pour qu’il s’assure que ses amours existent toujours. On se reportera aux interventions de ces deux héroïnes pour constater la force de leur engagement sans jamais trahir la poésie souhaitée du texte.
L’intérêt éveillé amènera le spectateur à élargir ses connaissances en consultant les textes fondateurs ainsi libérés de la poussière du temps.


Enfin je conclurais en disant que la composition et l’écriture d’un opéra est une expérience fascinante. Démiurge, on donne vie à des personnages que l’on apprend à connaître tout au long de l’œuvre. Parfois ils s’évadent, vous imposent des sentiers que vous n’auriez pas empruntés. Souvent ils vous bouleversent ; vous ressentez alors douloureusement leurs blessures.
Les dieux le savent, leurs créatures souvent leur échappent et les chemins tortueux qu’elles empruntent ne les laissent jamais indifférents.

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